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Nicaise Rosie Ndjandji – Portrait de femme engagée

Nicaise est une camerounaise engagée au quotidien contre la malnutrition dans son pays. Diplomate et patiente, elle ne s’est jamais découragée et avance en emmenant avec elle les équipes de terrain d'Action Contre la Faim pour responsabiliser les autorités locales dans la prise en charge des enjeux de développement.

Quel est l’objectif de votre plaidoyer ?

Le mandat d’Action Contre la Faim est la lutte contre la malnutrition. Notre plaidoyer est axé sur nos 3 secteurs d’intervention humanitaire : sécurité alimentaire et moyens d’existence, santé / nutrition, eau hygiène et assainissement principalement. Notre principal objectif est de responsabiliser les autorités camerounaises sur la prise en charge de la malnutrition. Au Cameroun il y a très peu de financements de l’État orientés sur la lutte contre la malnutrition, alors que certaines zones comme le grand Nord du pays sont marquées par une malnutrition aiguë avec environ 35% de décès liés à la sous-nutrition selon les enquêtes démographiques de la santé. Au niveau du Ministère de la santé, il n’y a pas encore de Direction de la nutrition, seulement une sous-direction sans un fort pouvoir d’influence et sans budget conséquent. Nous visons donc d’une part le Ministère de la Santé, à travers une action collective de la plateforme SUN (Scalling Up Nutrition), mais aussi les collectivité territoriales décentralisées (les communes). Nous souhaitons qu’elles s’approprient leur propre développement et prennent en charge prioritairement le secteur de la nutrition. Notre plaidoyer vise les maires pour qu’ils intègrent une ligne budgétaire dédiée à la nutrition dans leur budget communaux. Nous avons déjà obtenu l’adhésion de 15 maires qui se sont engagés à financer la nutrition à hauteur d’au moins 1% de leur budget et ont commencé à le faire depuis dans les budgets de 2020.

Pourquoi faire du plaidoyer?

Le plaidoyer est primordial pour nous car les actions de terrain et l’aide humanitaire doivent aussi amener un changement plus profond. On ne peut pas apporter seulement de l’aide de manière ponctuelle sur de tels sujets, or les actions de terrain se font à travers un projet, sur une durée limitée. On veut s’assurer de la pérennité de nos actions. Si on s’en va et que ça ne suit pas, alors le risque est que la situation redevienne comme avant. Il y a besoin d’impliquer les acteurs gouvernementaux et les autorités locales pour qu’ils prennent le relais des projets et  qu’ils pérennisent ce qu’on fait. Ils peuvent apporter un changement positif sur base de ce qu’on met en place.

Une Victoire?

Avoir intégré déjà dans les plans d’investissement annuels des communes une ligne budgétaire allouée à la nutrition a été une victoire. Également, dans notre volet sur la sécurisation de l’accès à la terre pour les populations vulnérables comme les femmes, mères de famille, jeunes, nous avons fait un plaidoyer qui a porté ses fruits : nous avons visé les grands propriétaires terriens, mais aussi les sous-préfets, les maires, les chefs de village pour négocier avec eux l’accès et la mise à disposition de terres. Nous avons pu récolter des terres, certes dégradées mais que nous avons ensuite réhabilité en accompagnant les populations dans ce travail, pour qu’elles soient aujourd’hui cultivables. Cette année, 40 hectares ont été mis à disposition des populations vulnérables par les grands propriétaires terriens sur la zone de notre projet.

Qu’est-ce que le métier de chargé.e de plaidoyer?

Mon métier, c’est avant tout de la coordination. Le plaidoyer est très stratégique, et il faut qu’il soit intégré dans chaque secteur. C’est un métier très transversal qui demande de s’entourer de beaucoup de personnes différentes, de travailler avec toutes les équipes de projet, celles de terrain, dans tous les secteurs de l’organisation. C’est un métier qui n’est pas encore bien compris, bien connu. Même en interne, plusieurs personnes pensent au début que c’est un travail en plus qu’on leur donne, ils n’en comprennent pas encore bien les enjeux. Et pourtant, quand on comprend les enjeux, on se rends compte à quel point c’est important et à quel point cela facilite l’action de terrain ! Mon rôle est donc aussi d’accompagner les équipes à comprendre ce que c’est que le plaidoyer, à savoir comment l’intégrer dans leur travail, et à faire en sorte que ce soit le plus aisé possible pour eux. Lorsque j’organise un atelier ou que je dois faire du lobbying, je ne le fais pas seule ! Je propose des formats d’échange, des notes de plaidoyer, mais les équipes de terrain doivent aussi apporter du contenu technique à ce travail. Au final, je donne une valeur ajoutée à ce que ces équipes font tous les jours. Quand ils s’approprient le plaidoyer et s’engagent pour pérenniser leurs actions, ils en sont même fiers !

Quel est votre parcours?

J’ai un parcours un peu mélangé ! A la base, je suis sociologue, j’ai étudié la sociologie option « populations et développement » au Cameroun. Par la suite, j’ai intégré une Organisation de la Société Civile spécialisée dans l’appui aux populations et aux communes pour l’élaboration des plans communaux de développement. Ensuite, j’ai travaillé pour la Croix Rouge Française sur des projets de sécurité alimentaire : j’étais en charge du volet d’accompagnement psycho-social et de gestion des conflits agropastoraux. Il y avait un plaidoyer à faire pour négocier auprès des autorités locales la délimitations des zones agropastorales, pour amener les parties prenantes au conflit à échanger et ainsi ramener une certaine cohésion sociale dans notre zone d’intervention qui se trouvait à l’est du Cameroun. Après cette mission, j’ai fait une pause, et j’ai décidé de reprendre mes études. Je suis partie six mois à Lyon pour étudier à l’institut Bioforce dans une formation CPSI et ainsi me former à la coordination de projet. De retour au Cameroun, j’ai postulé chez Action contre la Faim parce que j’étais intéressée par les problématiques de nutrition. Je voulais contribuer à améliorer les conditions de vie de la population de notre pays,. Le plaidoyer m’a semblé être un moyen d’impulser le changement sans rendre les populations dépendantes aux ONGs, de dépasser ces projets qui permettent aux gouvernants de ne plus rien faire. Là, on responsabilise les autorités pour que ce soient eux qui aident leur population.

Votre plus grande difficulté ?

Ici au Cameroun le problème c’est qu’il y a des thématiques sensibles pour le gouvernement, qui bloquent et ne laisse aucune ouverture au dialogue. On continue de pousser mais c’est difficile. Par exemple, sur la question du PBF (financement basé sur la performance) financé  par la Banque Mondiale pour appuyer les systèmes de santé, ils ne veulent même pas en débattre. Ce financement fait partie de notre stratégie de sortie du terrain pourtant : on se dit qu’après nous, quand le projet d’Action Contre la Faim se terminera et qu’on partira de la zone, ce sera à l’État d’assurer les soins des populations. Mais pour l’instant, impossible d’en discuter. La Couverture Sanitaire Universelle aussi est un sujet sensible, la loi sur la CSU n’est pas encore voté au niveau de l’assemblée nationale, et pour le moment les actions de plaidoyer bloquent. Mais c’est normal, c’est aussi cela le plaidoyer, il ne se fait pas en un jour ! Il faut du temps, mais on ne se décourage pas : on sait qu’on va y arriver, ça va le faire.

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui souhaite s’engager dans le plaidoyer ?

Déjà, de développer chez soi le sens de la diplomatie et de la patience. Avoir la force de savoir convaincre. Il faut amener les gens à comprendre l’importance du changement, sans imposer son point de vue. C’est important de travailler sur soi pour savoir être diplomatique selon les sujets qui doivent être évoqués. Surtout, ne pas se décourager quand on fait face à des blocages. Parfois on se sent incompris, mais avec le temps quand on voit les résultats, de plus en plus de personnes se rallient à nous et on avance ensuite ensemble ! Aussi, ne pas hésiter à s’entourer des partenaires et des équipes pour porter une voix plus légitime.

Pour plus d'informations sur le travail de Nicaise au sein d'Action Contre la Faim: https://www.actioncontrelafaim.org/missions/cameroun/