Vous avez décidé de vous lancer dans un plaidoyer. Bien. Oui, mais par où commencer ? Avec qui ? Comment ? Quelle différence entre la planification d'un plaidoyer et celle de vos projets ? Et comment travailler collectivement ?
Michelle Perrot – Portrait de femme engagée
Michelle travaille depuis 15 ans pour l’ONG Plan International France. Passionnée par les droits de l’enfant et la coopération internationale, elle a travaillé sur le terrain pendant plusieurs années. D’abord orientée “Programmes”, elle a mis en place un département Plaidoyer et Engagement des jeunes, dont elle est aujourd’hui Directrice. Elle partage avec nous son parcours et son engagement.
Quel est l’objectif de votre plaidoyer ?
Au sein de Plan International France, nous visons une meilleure prise en compte des droits de l’enfant dans la politique de coopération de la France. Nous sommes tout particulièrement engagés pour l’égalité filles-garçons/femmes-hommes et pour la reconnaissance des jeunes comme des acteurs du changement. Nous nous appuyons sur une approche par les droits : pour moi, le plaidoyer ne peut se concevoir en dehors des instruments du droit international.
Pourquoi faire du plaidoyer ?
Le plaidoyer permet de faire bouger les choses de manière durable et avec une certaine envergure, contrairement à un projet isolé, mené auprès d’un nombre limité de bénéficiaires et qui sera sans lendemain s’il ne s’inscrit pas in fine dans une politique publique. Inscrire durablement des priorités dans les politiques publiques et assortir ces politiques des moyens nécessaires, permet d’obtenir un impact plus grand. Le plaidoyer est une pratique assez récente en France, mais beaucoup plus avancée dans d’autres pays. Lorsque nous nous sommes lancés dans le plaidoyer chez Plan International France, j’ai eu la chance de pouvoir compter sur notre réseau international, de culture plutôt anglo-saxonne, et pour qui le plaidoyer était déjà une évidence.
Une victoire ?
Dans le cadre d’un collectif partenaire dont nous sommes membre-fondateur, la Coalition Education, nous avons plaidé auprès de la France pour qu’elle investisse plus de moyens dans le Partenariat Mondial pour l’Education. La France est ainsi passée d’une contribution de 8 millions sur 3 ans à 200 millions pour la période 2018-2020 ! Nous sommes très heureux de ce succès. Plus récemment, nous avons pu faire entendre les recommandations des jeunes d’Afrique de l’Ouest et du Centre auprès de tous les Ministres de l'Éducation du G5 Sahel et des Ministres des Affaires Etrangères des pays du G7. Plan International France a joué un rôle clé dans ce plaidoyer porté par les jeunes. Nous tenons à ce que le plaidoyer fasse entendre la voix des jeunes, les premiers concernés.
Qu’est-ce que le métier de Directrice du Plaidoyer ?
Mon rôle est d’identifier les changements politiques visés en lien avec nos priorités, développer la stratégie qui s’en suit, tout en identifiant les partenaires avec qui nous allons agir en collectif pour augmenter notre impact. Une bonne partie de mon temps est investie dans l'élaboration collective de stratégies et de messages de plaidoyer. Nous les portons ensuite ensemble vers nos cibles : l’Elysée, le Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères, l’Agence Française de Développement et les parlementaires. Je suis en contact régulier avec mes homologues de la fédération Plan International : il y a une co-construction de nos stratégies en interne dans notre réseau, un partage d’expérience. Je suis également Directrice de l’Engagement des Jeunes, et les deux thèmes sont loin d’être étanches : les jeunes bénévoles avec lesquels nous travaillons soutiennent notre plaidoyer ; ils peuvent par exemple solliciter des rendez-vous parlementaires que nous préparons ensemble. Nous travaillons avec un groupe de 20 bénévoles engagés, des jeunes de 18 à 25 ans que nous formons au plaidoyer, aux droits de l’enfant, et aux questions de genre pour qu’ils mènent des actions de sensibilisation et soutiennent notre plaidoyer.
Quel est votre parcours ?
J’ai étudié les sciences politiques et les relations internationales avec un focus sur les questions de coopération. J’ai visé très tôt les droits de l’enfant, mais n’avais pas en tête le plaidoyer, j’avais plutôt une démarche programmes de terrain. J’ai immédiatement ciblé mes stages en partant en Turquie puis en Bolivie avec l’UNICEF. J’ai prolongé mon travail en Bolivie, puis en Colombie ; j’ai également travaillé avec le Programme des Nations Unies pour le Développement à New York. Quand je suis rentrée en France, je voulais rester dans ce domaine de la coopération internationale appliquée aux droits de l’enfant, mais je n’ai pas trouvé tout de suite un emploi. J’ai alors travaillé dans la promotion de la santé en France, ce qui m’a beaucoup apporté. Puis un jour, j’ai vu une affiche dans le métro de cette ONG peu connue alors : Plan International France. Je me suis renseignée : sa « feuille de route » était celle des droits de l’enfant dans les pays en développement. J’ai fait une candidature spontanée qui est arrivée au bon moment ! J’ai été recrutée comme Directrice des programmes, et j’ai occupé cette fonction pendant 11 ans. Petit à petit, j’ai commencé à développer toute la dimension Plaidoyer et Engagement des jeunes. L’équipe s’est agrandie au fur et à mesure, jusqu’à pouvoir envisager un département dédié. Aujourd’hui, nous sommes deux personnes, épaulées par un volontaire en Service Civique.
Votre plus grande difficulté ?
La difficulté principale pour le plaidoyer est le manque de ressources, de moyens pour embaucher des gens. Il est plus facile d’accéder à des financements pour un projet de terrain que pour une stratégie de plaidoyer. C’est encore assez compliqué en France, cela se développe petit à petit mais ce n’est pas encore ancré dans notre milieu.
Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui souhaite s’engager dans le plaidoyer ?
Avoir une expérience de terrain. Ne pas penser que le plaidoyer est quelque chose que l’on peut déconnecter du terrain. Pour mener un bon plaidoyer, il est nécessaire de s’appuyer sur de bonnes pratiques du terrain, d’être capable de faire remonter les attentes des personnes concernées, de s’appuyer sur des recherches solides. Les gens ont tendance à dissocier Programmes et Plaidoyer alors que l’un ne peut pas aller sans l’autre. Chez Plan International France, la fédération nous permet d’ancrer le plaidoyer dans nos programmes. Notre légitimité, c’est cet ancrage ! Il ne faut pas oublier non plus que le plaidoyer, c’est aussi une expertise très pointue sur un sujet donné. Il est impossible de mener un bon plaidoyer dans tous les domaines : il faut se donner les moyens de développer son expertise sur un sujet donné. Le fond et la forme doivent aller de pair. Finalement, le plaidoyer requiert une certaine polyvalence : il faut avoir séjourné sur le terrain, être formé au plaidoyer et aux droits humains, mais aussi connaître les réalités du terrain et les enjeux propres à un secteur en particulier. Je conseillerais à une personne souhaitant s’investir dans le plaidoyer de commencer, de façon pragmatique, par un stage dans une structure ayant une bonne expérience dans le domaine. Pourquoi pas en Angleterre ? Les ONGs anglo-saxonnes ont plus d'expérience que la France en la matière : se frotter à leur mode de fonctionnement est une très bonne école, pour pouvoir ensuite reverser son expérience en France où nous avons besoin de gens expérimentés.
Pour plus d'informations sur le travail de Michelle au sein de Plan International France: https://www.plan-international.fr/info/action-humanitaire/approche/droits-des-enfants/plaidoyer/