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Océane Blavot – Portrait de femme engagée

Océane est entrée dans le plaidoyer par la porte de la recherche. Intéressée par l’aide internationale, elle s’est alliée à la chez Global Initiative for Economic, Social and Cultural Rights (GI-ESCR) pour lutter contre la privatisation des services sociaux et promouvoir les systèmes d’éducation publique.

Quel est l’objectif de votre plaidoyer ?

Je travaille sur la problématique de la privatisation des services sociaux dans les pays du Sud et je lutte particulièrement contre la privatisation de l’éducation en Afrique de l’Ouest et dans l’espace francophone. L’objectif est de pousser les États à réguler les acteurs privés dans le domaine de l’éducation et à poursuivre la construction des systèmes d’éducation publique pour la réalisation du droit à l’éducation. Nous agissons notamment à travers le Réseau francophone contre la marchandisation de l'éducation dont nous sommes membre du comité de pilotage, et qui regroupe plus de 300 organisations dans le monde francophone. Ce travail est soutenu par l’Organisation Internationale de la Francophonie sur certains projets, tel que lors de l’organisation de la première rencontre de la société civile francophone contre la marchandisation de l’éducation, à Paris, suivie de la seconde à Dakar. Je suis moi-même basée à Dakar, l’idée étant de ne plus avoir tous les sièges au Nord, mais aussi des bureaux au Sud.

Pourquoi faire du plaidoyer?

Notre vision vis-à-vis du développement est que le changement doit être systémique. Nous travaillons en partenariat avec des organisations locales et ce sont elles qui mènent le plaidoyer au niveau national car c’est leur contexte. Nous les soutenons mais ce sont elles qui prennent le lead. Elles poussent leurs États à réguler les acteurs privés et à ne pas abandonner leur système d’éducation publique. De notre côté, nous nous adressons aux bailleurs internationaux qui encouragent malheureusement  la privatisation de l’éducation dans les pays du Sud, et dans certains cas financent même certains acteurs privés sans passer par les États… Nous allons à leur rencontre pour porter notre plaidoyer et nous utilisons  tous les dispositifs à notre portée pour réorienter les financements vers l’Éducation publique. C’est un changement systémique, global, du contexte international au national et au local, qui est nécessaire. Les associations ont besoin de travailler sur les trois niveaux dans un cercle constant pour obtenir des résultats durables.

Une Victoire?

L’année dernière, nous avons obtenu une victoire sur un gros projet sur lequel nous avions travaillé pendant plusieurs années : en février 2019, nous avons fait adopter les Principes d’Abidjan sur les obligations des États en matière de droits de l’Homme de fournir un enseignement public et de réglementer la participation du secteur privé dans l’éducation. C’est un texte  qui rassemble tout le Droit international sur le Droit à l’éducation et qui le clarifie. Le Droit international en matière de droits humains n’est pas très clair sur l’application du droit à l’éducation. Il y a une tension entre certains principes, notamment sur cette question éducation privée / éducation publique. Ce n’est pas facile à appliquer pour les États. Avec nos organisations partenaires, nous avons regroupé tous ces textes et nous les avons clarifié en un seul texte à portée juridique. Ce processus d’élaboration du texte a duré 3 ans et demi, basé sur des consultations dans le monde entier, avec la volonté de ne pas seulement consulter des « experts » et des cibles précises comme l’UNESCO, mais aussi des enseignants, des syndicats, des ONG etc. Le texte a été adopté par un comité d’expert en février 2019 à Abdijan.

Qu’est-ce que le métier de chargé.e de plaidoyer?

Souvent quand on dit « plaidoyer » en français, on pense surtout à la communication et à la campagne alors que pour moi ce n’est pas le cœur de mon métier. Bien sûr, notre action repose sur une campagne pour assurer la visibilité de nos thématiques, pour sensibiliser… mais mon métier c’est surtout la stratégie pour atteindre des objectifs sociaux, dans notre cas, comment faire passer des normes, des résolutions au niveau des Organisations Internationales pour la mise en œuvre du droit à l’éducation. Et pour cela, il faut avoir un réel esprit stratégique.

Quel est votre parcours?

J’ai fait une licence en Angleterre « Globalisation: History, Politics, Culture », ce qui équivaut en France à une licence en Relations Internationales, avec cette différence que nous avons beaucoup étudié l’histoire, la philosophie, et surtout nous avons été encouragés à développer une véritable pensée critique. Pendant ces trois ans, je me suis rendue compte que je voulais me spécialiser dans les projets de développement à moyen et long terme en Afrique. Je suis rentrée en France pour faire Master 1 Économie Gestion, Mention Études Internationales pour me préparer à devenir Chef de projet. Puis j’ai complété ma formation par un diplôme à l’IRIS Sup, de « Responsable de de Programmes Internationaux ». Cela m’a beaucoup plu, notamment parce que les métiers de notre secteur en ONG pas très visibles quand on est étudiant : on est intéressé par les thématiques mais en termes de métiers, c’est difficile d’avoir une idée concrète de ce qu’on va faire après. L’IRIS Sup’ vraiment dirigée par des gens du secteur, du terrain. C’est une formation professionnelle. J’ai fait mon mémoire sur le thème du renouveau de la coopération des bailleurs internationaux avec le secteur privé. La chercheuse qui encadrait mon mémoire m’a proposé d’écrire un article sur le sujet, et c’est cela qui m’a lancée. C’était un article scientifique mais qui dénonçait certaines pratiques des bailleurs internationaux. J’ai rencontré des ONG françaises qui travaillaient sur cette thématique, et puis internationales dont la personne qui est mon directeur maintenant.  J’ai alors commencé à travailler pour son organisation, la Global Initiative for Economic, Social and Cultural Rights, au Kenya, puis il y a trois ans je suis partie m’installer à Dakar où je travaille à établir notre bureau sénégalais.

Votre plus grande difficulté ?

Le travail en ONG c’est pas de tout repos… mais en fait je ne me suis jamais posée cette question ! La difficulté dans notre plaidoyer réside dans le fait qu’on ne travaille pas sur une thématique très « sexy ». Il est parfois difficile d’expliquer en quoi les thématiques sur lesquelles nous travaillons sont fondamentales. Par exemple, nous travaillons depuis plusieurs années  sur le cas de « Bridge International Academies », une multinationale américaine qui met en place un modèle d’école low-cost dans les pays en développement et vise les populations les plus pauvres. Beaucoup d’études montrent que l’enseignement est de très mauvaise qualité, que les enseignants ne sont pas formés, que les conditions d’apprentissage sont déplorables… Si on parlait de Total, cela ferait scandale mais là on parle d’éducation alors, cela passe plus inaperçu… Paradoxalement, la crise actuelle nous aide car le cœur de notre combat ce sont les services publics, dont on parle beaucoup aujourd’hui. On voit un regain d’intérêt pour le rôle des services publics dans notre société et une réelle réflexion sur le modèle néolibéral et la privatisation à tout va. Les messages que nous essayons de faire passer depuis des années sont mieux compris.

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui souhaite s’engager dans le plaidoyer ?

« Chargé.e de plaidoyer » est une fonction avec de  multiples facettes différentes. Il est important d’avoir un profil de recherche, beaucoup de postes le demandent, mais il faut savoir combiner cela avec la communication, notamment virtuelle. En parallèle des recherches il faut savoir entretenir un site web, mener une campagne en ligne, être community manager… Et puis, le plus important pour moi, est de réussir à développer un esprit stratégique. C’est fondamental dans ce métier. Il y a une grande partie d’analyse de contexte : savoir analyser les politiques nationales, comment elles sont liées au contexte international et aux politiques des bailleurs. C’est aussi cette capacité d’analyse qui m’a amenée à obtenir ce poste. L’aide au développement reste une part énorme des budgets des États des pays du Sud dans certains secteurs, pour mener un plaidoyer sur ce sujet il est fondamental de savoir l’analyser.

Pour plus d'informations sur le travail d'Océane au sein de la Global Initiative for Economic, Social and Cultural Rights (GI-ESCR): https://www.gi-escr.org/