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Myriam Savy – Portrait de femme engagée

Myriam est passée de la communication au plaidoyer, après des études en géopolitique. Elle se bat aujourd’hui pour promouvoir une politique cohérente face aux conduites addictives en France. Convaincue du rôle que la société civile doit jouer pour obtenir des progrès sociaux, elle essuie les attaques et garde le cap de la responsabilisation des acteurs publics.

Quel est l’objectif de votre plaidoyer ?

L’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie (ANPAA) intervient dans le champ des addictions. Notre plaidoyer est orienté au niveau sociétal sur les politiques de santé publique, en visant notamment une politique cohérente face aux conduites addictives. Le tabac, l’alcool et le cannabis sont les substances les plus consommées en France, mais aujourd’hui le cadre règlementaire est très différent entre elles, deux étant légales et l’autre interdite. Nous sommes en faveur par exemple de la légalisation du cannabis dans le sens d’un cadre qui règlemente la production et la consommation de ce produit. Il s’agit bien d’un objectif de santé publique puisque ce cadre légal permettra par exemple de contrôler la qualité des produits et d’interdire l’accès aux mineurs. Alors que sur le tabac, on note une vraie volonté politique de dé-normalisation de la consommation, pour l’alcool, le cadre est beaucoup plus permissif, que ce soit en termes de publicité mais aussi de respect des interdictions : les jeunes n’ont aucun souci pour se procurer de l’alcool, ils sont exposés en permanence à de la publicité sur les réseaux sociaux. Nous souhaitons que le cadre règlementaire de ces trois produits soit harmonisé et cohérent.

Pourquoi faire du plaidoyer?

Nous avons des intérêts à défendre, une vision, un engagement social. Il est important que cette vision puisse être transmise aux décideurs publics et à l’opinion publique. C’est parce que des plaidoyers sont menés par des ONG, par la société civile - dans laquelle je ne compte pas les entreprises ! – que l’on peut obtenir des progrès sociaux et sociétaux.

Une Victoire?

Il y a peu, nous avons obtenu une victoire dans le cadre du Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PFLSS) : nous avons réussi à faire adopter en 2020 l’extension de la taxe « premix » aux vins aromatisés. En 2004, cette taxe « premix » a permis de taxer lourdement les mélanges de boisson alcoolisée et non-alcoolisée type Smirnoff Ice, mais la règlementation excluait celles à base de vin. On a alors vu des industriels développer toute une gamme de vins aromatisés, comme le rosé pamplemousse, avec une cible très clairement identifiée : les jeunes, à qui ils proposent ce genre de boissons à 2,50 euros la bouteille. Nous avons milité pour qu’elles soient taxées comme les autres premix, ce que nous avons obtenu en novembre 2019. C’est une belle victoire car ce n’est jamais facile de faire adopter des taxes sur l’alcool ! C’est un résultat concret qu’il faut saluer car on n’en a pas forcément souvent en plaidoyer. Parfois, la victoire, c’est l’évolution de l’opinion publique. Il y a 4 ans, quand j’ai commencé à l’ANPAA, il était difficile d’évoquer le sujet alcool. Parler des risques liés à la consommation, c’était rabat-joie ! Depuis un ou deux ans, on constate une prise de conscience : le sujet est pris beaucoup plus au sérieux, avec meilleure compréhension des enjeux aussi bien dans la presse que chez les parlementaires. Le but n’est évidemment pas d’interdire l’alcool mais d’accepter la réalité : l’alcool n’est pas un produit anodin et il ne peut être traité comme n’importe quel autre produit.

Qu’est-ce que le métier de chargé.e de plaidoyer?

Un métier couteau suisse ! Il faut avoir différentes compétences : être en veille permanente et anticiper les sujets qui peuvent sortir, être capable de réagir vite, être force de proposition et faire des recommandations que les législateurs peuvent s’approprier, être imaginatif pour concevoir des campagnes sur des sujets à mettre à l’agenda public...

Quel est votre parcours?

J’ai fait mes études à l’Institut d’Études Politiques de Bordeaux . Je n’ai pas fait un master Affaires publiques, mais un master en Relations Internationales option Géopolitique et Géostratégie. J’ai découvert le plaidoyer pendant un stage au sein du département affaires publiques d’une agence de communication. J’ai ensuite commencé à travailler pour Transparency International, où je suis progressivement passé de la communication au plaidoyer, c’est-à-dire à plus de travail de fond. Après 8 années, j’ai quitté Transparency International pour faire un voyage de 6 mois. A mon retour, j’ai été recrutée par l’ANPAA pour structurer leur plaidoyer car la fonction n’existait pas jusque-là. Aujourd’hui, je gère le service plaidoyer et communication car les deux sont très liés.

Votre plus grande difficulté ?

La plus grande difficulté que nous rencontrons réside dans l’image que veulent donner de nous les producteurs d’alcool. Ils nous décrivent comme des prohibitionnistes, des hygiénistes, des « pisse vinaigre », comme j’ai pu le lire récemment dans un article ! Cela construit un a priori négatif face à notre travail auprès des décideurs politiques ou de l’opinion publique. Heureusement, on peut le déconstruire facilement : nous sommes pour la légalisation du cannabis, comment pourrions-nous être pour la prohibition de l’alcool ? Quand on rencontre certains décideurs politiques, certains parlementaires par exemple, ils ont cet a priori négatif, quelques-uns refusent même de nous rencontrer. Le vin en France est très lié à des intérêts locaux, on connait les parlementaires qui ne voudront jamais nous rencontrer, qui sont des ardents défenseurs de la filière. Regarder le jeu des acteurs est d’ailleurs très intéressant…

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui souhaite s’engager dans le plaidoyer ?

On ne fait pas du plaidoyer pour faire du plaidoyer. La première chose, c’est d’être certain d’être en accord avec les sujets qu’on va défendre. Tout le monde ne sera pas d’accord avec vous, c’est d’autant plus important d’être en ligne avec ce que vous racontez. Sur un plan pratique, l’idéal est de choisir une formation qui permette d’acquérir un esprit de synthèse et de bien écrire, car le premier contact se fait souvent par écrit. Mieux vaut donc savoir bien organiser ses idées sur le papier. L’aisance à l’oral à mon sens vient après, quand on maîtrise le sujet. Pour finir, la rigueur intellectuelle est clé : il faut dire des choses justes et ne pas tordre la réalité. Donner une donnée ou un chiffre faux parce c’est plus convainquant finira toujours par revenir en boomerang.

Pour plus d'informations sur le travail de Myriam au sein de l'ANPAA: https://www.anpaa.asso.fr/