CAP! lance une enquête sur les liens entre Plaidoyer et Economie Sociale et Solidaire pour comprendre comment ce secteur peut lui aussi provoquer le changement. Pour y participer, c'est par ici !
Astrid Bouchedor – Portrait de femme engagée
Astrid est une militante. Passionnée par les mouvements paysans, elle a réussi à associer son goût pour l’écriture, la recherche, la construction d’argumentaires, à ses connaissances sur l’Économie Sociale et Solidaire, l’agroécologie et le Droit à la terre. Dans son métier, plaidoyer et terrain vont de pair. Elle partage avec nous son parcours et son engagement.
Quel est l’objectif de votre plaidoyer ?
Fian Belgium lutte pour la réalisation du droit à une alimentation adéquate et à la nutrition pour tous. Nous sommes engagés pour la souveraineté alimentaire, notre droit à définir collectivement le système alimentaire que nous souhaitons, sur base d’une production locale de qualité. . Nous travaillons avec des mouvements paysans en Belgique pour faire avancer l’agroécologie et mettre à l’agenda la refonte des systèmes alimentaires. Nous revendiquons la spécificité du modèle agroécologique qui répond aux grandes questions actuelles comme le climat et les migrations : il est nécessaire de relocaliser les systèmes alimentaires. FIAN n’est pas très connu du grand public car nous travaillons surtout en appui aux mouvements paysans et sur des processus institutionnels, peu dans des campagnes ciblant les citoyens.
Pourquoi faire du plaidoyer?
Je ne vois pas le plaidoyer comme déconnecté du reste. On fait du plaidoyer d’abord parce que c’est une demande qui émane du terrain, et parce qu’on veut faire avancer un sujet. Le plaidoyer a besoin d’une légitimité citoyenne, d’une base solide. Sur l’agriculture, il est nécessaire parce que la majorité des décideurs politiques ne défendent pas un modèle viable. Le modèle agro-industriel actuel, issu du néolibéralisme, est destructeur et continue toutefois d’être entretenue par des choix politiques aux niveaux belge et européen, tels que les accords de libre-échange (CETA, Mercosur), et la Politique agricole commune (PAC), qui favorisent un modèle productiviste exportateur. Nous sommes donc un contre-pouvoir, face à un secteur agro-alimentaire très puissant avec une grande capacité d’influence. Nous sommes là pour rappeler que les fondamentaux d’une démocratie sont dans un gouvernement responsable et dans la capacité des citoyens à faire valoir leurs droits humains. Le plaidoyer, c’est cette courroie de distribution entre les droits des citoyens et la responsabilité des dirigeants.
Une Victoire?
Un long processus onusien a abouti en 2018 : l’Adoption de la Déclaration des droits des Paysan.ne.s. C’est le résultat de plus de 15 ans de plaidoyer, porté par FIAN aux côtés du mouvement paysan La Via Campesina au niveau international au fil de plusieurs négociations au Conseil des droits de l’Homme à Genève. C’est une victoire collective. Il fallait construire notre influence sur les Etatsmembres du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, faire avancer nos positions au sein de l’Union Européenne, creuser une brèche pour mettre les droits humains à l’agenda des différents Ministères de l’Agriculture… Participer à ce processus, qui peut paraître souvent un peu abstrait, a été passionnant : dans une même salle, on retrouvait les représentants des paysans, des Peuples Autochtones, des pêcheurs, des États, qui sont parvenus à un consensus sur le texte, adopté avec une large majorité. C’est une grande victoire.
Qu’est-ce que le métier de chargé.e de plaidoyer?
Un volet important pour moi, c’est la recherche. Pas au sens académique, mais il y a des thématiques sur lesquelles j’ai développé une véritable expertise. J’ai publié deux études sur le droit à la terre, après un véritable travail d’enquête et de rédaction. Ces études correspondaient à un momentum politique et ont renforcé notre argumentaire. Il y a donc aussi un travail de veille politique et de réseautage à mener auprès des groupes parlementaires, pour comprendre les sujets discutés, construire des alliances avec certains élus. En période électorale, on travaille aussi à influencer les programmes, on développe des mémorandum électoraux. C’est un travail de dialogue continu, d’échanges de fond pour alerter les députés sur les problématiques à mettre à l’ordre du jour. On travaille en concertation avec d’autres acteurs associatifs, on développe des positions communes, on s’adresse aux médias ensemble. Je travaille aussi en collaboration avec mon-a collègue chargé-e de la mobilisation pour organiser des temps forts avec les citoyens : manifs, ciné-débats, qui viennent donner du poids à nos arguments. Tisser des liens et travailler en collectif sont au cœur du plaidoyer. Nous faisons des aller-retours entre ce qui se passe sur terrain et les leviers politiques que l’on peut actionner. Enfin, il y a le travail en face cachée : au niveau organisationnel, il y a tout un temps de concertation en équipe, car notre organisation fonctionne de manière horizontale : on construit ensemble la stratégie, les priorités.
Quel est votre parcours?
J’aime écrire et parler, je me suis donc tournée vers une formation en journalisme. J’ai fait ma licence en Australie, où j’ai commencé à travailler en radio, à faire des piges. Je me suis rapidement rendue compte de ma frustration face à l’obligation de neutralité, à la ligne éditoriale à respecter, alors que je me sentais plus militante. Je suis rentrée en France et j’ai pris une année pour moi : je travaillais comme serveuse le soir et la journée je m’impliquais dans des associations, pour Médecins du monde et Artisans du monde. J’ai beaucoup appris en tant que bénévole et j’ai compris que je ne voulais pas seulement faire du bénévolat mais véritablement travailler dans ce milieu. J’ai repris un Master à Lyon qui m’a permis de balayer tous les métiers de l’Économie Sociale et Solidaire, d’acquérir des méthodes et des outils. Mais en province, il y a peu de postes sur le plaidoyer… ils sont surtout à Paris ou à Bruxelles. Pour mon deuxième stage, je suis partie en Belgique où j’ai rejoint le bureau politique d’Oxfam. C’est là que j’ai mieux compris en quoi consistait le métier de chargée de plaidoyer, qui m’a beaucoup plu. Au départ, ma thématique de cœur était le commerce équitable auprès des mouvements paysans, j’étais orientée sur des questions Sud. Mon cheminement personnel m’a donné envie de me rapprocher de nos enjeux locaux. Je me suis tournée vers le réseau des AMAP (Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne) qui était en pleine expansion à l’époque, et où j’ai tissé le lien entre la finance solidaire et l’agriculture paysanne. Travailler dans de petites structures est très formateur car on touche à tout ! Plus tard, j’ai rejoint l’équipe de plaidoyer de FIAN, au sein de laquelle j’avais l’opportunité de poursuivre ce travail avec les mouvements paysans, qui fait sens pour moi, mais aussi de suivre des processus internationaux à l’ONU et à la FAO, de dialoguer avec des décideurs politiques tout en gardant le lien avec le terrain.
Votre plus grande difficulté ?
Nous défendons un courant, l’agroécologie, qui reste minoritaire. C’est un peu David contre Goliath… Nous sommes peu nombreux avec très peu de moyens. Par rapport aux lobbyistes, c’est certain que nous sommes moins bien rémunérés pour le même niveau d’expertise et d’étude ! On doit sans cesse lever des fonds pour agir, et on fait face à de gros lobbys très puissants. Cela peut être frustrant. La frustration vient parfois aussi du manque de prise de position des décideurs. Quand on échange, beaucoup de représentants sont d’accord avec nous (eux aussi veulent du bio dans leur cantine !), puis quand il s’agit de se positionner publiquement, d’autres blocages surviennent…
Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui souhaite s’engager dans le plaidoyer ?
L’implication militante avant tout ! Être actif dans des mouvements de terrain permet de comprendre les enjeux, de ne pas négliger les acteurs qui sont en première ligne. C’est très instructif et primordial. Les associations sont preneuses de bonnes volontés : chaque année, FIAN Belgium travail avec plusieurs étudiant.e.s. Tous les acteurs associatifs ont des publications internes très souvent ouvertes à des plumes citoyennes. Cela peut être un moyen de se faire du réseau, de s’engager, de se documenter, et ce sont des choses qui vont faire la différence au moment d’un recrutement. Il y a peu de places dans notre milieu, je me sens très chanceuse de pouvoir faire ce métier ! Au-delà des postes intitulés « plaidoyer », il y a de nombreux moyens de s’engager dans d’autres métiers où l’on touche au plaidoyer. Notre chargé administratif et financier par exemple est très militant ! Tous les membres de l’équipe participent. En arrivant avec d’autres compétences et d’autres outils, chacun peut s’engager.
Pour plus d'informations sur le travail d'Astrid au sein de FIAN Belgium: http://fian.be/-Avancees-des-luttes-?lang=fr